La fondation Meyer a réuni quatre profils très différents à Marseille dans le cadre d’une résidence d’écriture pour qu’ils développent leur projet de création pendant deux à trois mois. La cinéaste Diala Al Hindaoui, la sociologue Rachida Brahim, l’écrivain Robin Faymonville et le journaliste Adrien Morat (auteur de cet article) partagent un même intérêt pour l’enfance et l’adolescence à travers des formes très variées.
Mardi 1er octobre 2024. Marseille, SCÈNE 44, quartier de la Friche de la Belle de Mai. Ce jour-là, les quatre résidents peaufinent les derniers détails de leur présentation. Cela fait un mois qu’ils ont posé leur valise dans la résidence Babel Community située dans le quartier du Vieux Port à Marseille.
Vers 15h, Diala s’affaire à terminer la mise en scène de son nouveau projet : un long métrage de fiction. Diplômée de la CinéFabrique, École nationale supérieure de cinéma à Lyon, en section scénario, elle a déjà réalisé deux courts métrages. Le premier, intitulé Deux morceaux de mémoire, est une œuvre documentaire composée du témoignage de sa mère, et d’images d’archives familiales de scènes tournées dans son pays natal : la Syrie. Au fil des questions, elle esquisse le portrait d’une famille déchirée sous la dictature de Bachar el Assad. Et puis il y a Fatmé, une fiction de 15 minutes qui dresse le portrait d’une jeune fille syrienne réfugiée au Liban. Primé au festival du Cinéma du réel 2024, le court-métrage met en scène Fatmé, 11 ans, qui aime bien la bagarre et qui affirme : « Je veux juste être la plus forte ».
Pendant ce temps, Robin Faymonville fait la balance en compagnie de Charly Michaux. Ce poète belge a l’habitude des lectures performées, notamment au sein de son collectif Littérature Supersport qu’il organise depuis Bruxelles avec sa compagne Clarisse Michaux. À Marseille pour l’écriture de son premier roman, il s’astreint à une discipline d’écriture stricte entre son studio du Vieux-Port et la bibliothèque de la Veille Charité. Ce diplômé de philosophie et d’un master en Textes et création Littéraire à La Cambre à Bruxelles a déjà performé l’an dernier dans la cité phocéenne pour le festival Actoral… Cette fois ci, il livre pour la première fois au public des lignes de son roman, une histoire de ressentiment entre deux amis d’enfance ayant grandi dans la campagne belge. Un petit signe au régisseur, Robin s’approche du micro et délivre un monologue mordant, fielleux et comique. Son acolyte Charly règle ses platines pour les nappes sonores qui accompagneront la 2ème partie de la présentation de Robin.
Rachida, qui vit à Marseille, a choisi d’afficher la planète Terre sur l’écran géant pour raconter son histoire. Cette sociologue est autrice de la thèse : La race tue deux fois : particularisation et universalisation des groupes ethniquement minorisés dans la France contemporaine, 1970-2003. Des travaux de recherche publiés dans un ouvrage en 2021 aux éditions Syllepse. Cette fois-ci, ce n’est plus l’histoire des autres qu’elle analyse mais la sienne. Après avoir pensé un temps à faire lire son texte par une amie comédienne, elle décide d’être seule sur scène. Son projet : un ouvrage qui retrace comment elle s’est découvert un savoir ancestral. Elle explique : « La difficulté d’écriture pour moi c’est d’être à la frontière de deux mondes, les savoirs ancestraux d’un côté, ce qu’on appelle le chamanisme, et d’un autre côté les savoirs académiques puisque je suis sociologue de formation ». Un récit personnel et une auto-analyse sociologique pour celle qui a la double casquette : sociologue et chamane. Une douce nappe sonore accompagnera un texte à la première personne qu’elle livre pour la première fois en public. Un projet que cette mère de deux enfants développe la journée dans son studio du Vieux-Port dans le plus grand des calmes. En effet, elle a fait vœu de silence lors de ses journées d'écriture.
Pour ma part, je discute avec les deux régisseurs pour faire apparaitre la timeline de mon logiciel de montage Adobe audition. Le but, faire découvrir au public les coulisses de la fabrication d’un podcast. Je suis journaliste et auteur depuis 2017 pour l’émission Affaires sensibles diffusée sur France Inter et je développe à Marseille un projet de série documentaire qui s’intitule : J’aurais rêvé d’être militaire. Une série en huit épisodes, qui mêle archives, interviews d’historiens et surtout témoignages de trois anciens camarades devenus militaires. J’ai profité de cette résidence pour aller interviewer l’un d’entre eux, Bienvenu, militaire au camp des Garrigues à Nîmes. Je m’apprête à dévoiler au public mes sources d’inspiration et un pilote de mon projet.
Le public commence à se réunir dans l’espace dédié normalement à la danse. Avant de faire place aux résidents, Christian Merlhiot présente la résidence : il anime tous les quinze jours des moments d’échanges entre résidents dans le cadre calme et paisible du couvent de la Cômerie. Ce moment d’échange est l’occasion de partager des méthodes de travail, des références, des conseils et des remarques entre des résidents venus d’univers différents : cinéma, littérature, journalisme et sociologie.
Place à la première présentation. Diala s’avance sur scène, en compagnie de la comédienne Judy Alarashy et du metteur en scène Rami Nihawi. La jeune cinéaste se livre à un exercice spécialement créé pour l’occasion : une lecture dynamique de scénario. Le public découvre son projet de long métrage : « Je m’appelle Salma, j’ai 12 ans, mes cheveux sont longs et noirs, souvent tressés. J’écris des poèmes d’amour pour mes amis, mais moi je suis amoureuse de personne, à part de notre président et de Dieu ». Le président, c’est Bachar El Assad. L’histoire se déroule en Syrie en 2005. Diala explique : « C’est un film autobiographique, les scènes, ce sont des souvenirs de mon enfance ». Sur l’écran du fond, des photographies personnelles émaillent le scénario autobiographique : la mort d’un oncle, les premières règles d’une jeune fille, l’alcool et la découverte des crimes du régime d’Assad…
J’ai choisi de présenter mon travail à travers une séance d’écoute. Au programme : un extrait du film documentaire Mon pote de droite réalisé par Laurent Cibien et deux passages de séries diffusées sur France Culture dans le cadre de l’émission Les Pieds sur terre : Ex-ologies d’Adila Bennedjaï-Zou et La photo de classe de Mathieu Palain. Vient ensuite le pilote avec des archives : le 11 septembre par David Pujadas, puis des séquences avec ma sœur, Emilie, qui a rêvé d’être militaire, Aymeric, un ami fan de Counter strike et Bienvenu, mon ami de lycée devenu militaire. Et la voix off qui explique : « Je suis né quinze jours après la chute du mur de Berlin, en novembre 89. Pour la guerre froide C’était le début de la fin. Je fais partie de la génération de Français, qui, dès l’enfance, savait qu’il n’y aurait plus de service militaire. Mais un jour, je me suis souvenu de Gaddiel, Bienvenu et Rémi, des camarades de ma classe de seconde. Tous les trois sont devenus militaires et ont fait la guerre pour de vrai. Je suis allé les retrouver. Avec une question : pourquoi eux et pourquoi pas moi ? »
Rachida s’avance devant le micro, pieds nus, et dévoile son histoire… « Un jour, sur cette place, devant les blocs, alors que j’avais 6 ou 7 ans : une épiphanie. La place est un terrain vague en chantier avec des tas de cailloux et des pelleteuses. Je suis assise sur un banc en pierre couvert de lattes de bois, à côté d’un arbre. J’observe la pierre, j’observe l’arbre, je vais de l’un à l’autre, et je me pose cette question : mais, en quoi est faite la pierre ? Et en quoi est fait le bois ? Qu’est-ce qu’il y a à l’intérieur de la pierre et à l’intérieur du bois ? La réponse a été une déflagration, mon crâne s’est ouvert, traversé par la lumière vive d’une foudre, mes yeux se sont écarquillés et cette phrase distincte : « entre la pierre, l’arbre et toi, il n’y aucune différence ». Elle explique ensuite sa soutenance de thèse où elle subit du racisme et sa découverte de la danse-thérapie, un événement qui a changé sa vie.
Robin, de son côté, change au dernier moment son idée de texte et choisit de lire un autre extrait. On découvre Gaspard, son personnage principal : « Moi, qui ai pensé sous l’influence des doctrines polluant l’air ambiant que j’étais un individu. Un individu. Quelqu’un qui pensait et désirait par lui-même. Mais bon Dieu Gaspard, pourquoi tant de prétention ? Tant d’orgueil dans un véhicule corporel si petit, si risible, ne vois-tu donc pas la taille de la mer, la taille du ciel ? Les gens disent : « j’aime le bleu, je n’aime pas le rose »,* ils vivent à la campagne parce que la ville les déprime, ils vivent à la ville parce que la campagne est morbide, ils veulent des vacances, je les comprends, je suis comme eux, je suis comme vous. Georges n’avait pas tout pour lui, loin de là. Georges n’était pas quelqu’un de particulièrement remarquable, mais c’était lui mon voisin, lui mon premier point de comparaison dans le monde de l’enfance. » On retrouve les thématiques chères à René Girard, un anthropologue qui inspire le travail de Robin. Place ensuite aussi aux nappes musicales de Charly Michaux. L’écrivain belge déclame son texte : « Quinze ans à peine et nulle part où aller ». L’adolescence et l’enfance, une thématique récurrente qui inspire les quatre résidents… Une sorte d’affinité éclectique.
Adrien Morat