Compositeur et chef d’orchestre à la carrière internationale, Bruno Mantovani a été directeur du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris de 2010 à 2019.
Les préjugés ont la vie dure. Il n’est pas rare d’entendre dire que la musique classique ne s’adresse qu’aux happy few – elle serait élitiste, au sens où elle ne serait réservée qu’à une catégorie sociale privilégiée. Compositeur et chef d’orchestre reconnu, Bruno Mantovani, qui dirige aujourd’hui le conservatoire à rayonnement régional de Saint- Maur-des-Fossés, l’Ensemble orchestral contemporain de Saint-Étienne et qui est également directeur artistique du festival Printemps des arts de Monte-Carlo, s’inscrit en faux contre cette idée reçue qui, à son grand dam, est parfois entretenue « pour des raisons démagogiques ». Celui qui fut à la tête du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris durant trois mandats consécutifs (2010-2019) rappelle que quasi un tiers des élèves y sont boursiers. Lui-même est l’incarnation de cette « culture élitaire pour tous », pour reprendre la formule d’Antoine Vitez poursuivant l’idée de son complice du Théâtre national populaire (TNP) Jean Vilar d’un « théâtre pour tous ».
Né en 1974 en banlieue parisienne, Bruno Mantovani grandit à Perpignan. Il est de milieu modeste. Son père né à Toulouse est d’origine italienne, issu de l’immigration économique transalpine venue en France dans les années 1930-1940, sa mère native de Pamiers en Ariège (« la ville de Gabriel Fauré, un compositeur qui a beaucoup compté dans mon œuvre ») est d’ascendance espagnole – des républicains ayant fui le franquisme en 1936. La musique qu’on écoute chez les Mantovani n’est pas ladite « grande » musique, mais « la bonne variété, comme Claude Nougaro » ; Bruno développe, quoi qu’il en soit, très tôt un goût pour le son, ce dont se rendent compte ses parents qui l’inscrivent au Conservatoire de Perpignan à l’âge de six ans. S’il commence par le piano, c’est la percussion qui sera le révélateur. « J’entre de plain-pied sans le savoir dans la modernité, dit-il en souriant à la douce ironie du hasard, car le répertoire de la percussion est aussi celui de la musique contemporaine » – musique dont il est aujourd’hui l’un des insignes hérauts, avec des œuvres pour orchestre (Time Stretch (on Gesualdo)) ou pour ensemble (Cadenza n°1 et 2) ou encore des opéras (Akhmatova). Vers 13 ans, grâce à Serge Lazarevitch venu enseigner le jazz au conservatoire de Perpignan, Bruno Mantovani découvre l’improvisation et donne libre cours à son « désir de sortir de la partition » ; deux ans plus tard s’ouvre une classe de composition électro-acoustique confiée à Christophe Maudot.
C’est décidé, Bruno ne sera pas interprète, mais compositeur. La suite est un parcours sans faute. Monté à Paris pour intégrer le conservatoire, il y apprend la composition et l’analyse musical mais comme « malgré ma technicité, à 20 ans, je sentais qu’il me manquait encore quelque chose – cette grande histoire de la musique », il suit donc les cours de musicologie de Remy Stricker. Son cursus complété, l’honnête homme musical est très vite repéré par la critique et la presse. Les années 2000 le voient décoller, les commandes s’enchaînent : « J’ai eu la chance de vivre de ma plume pendant dix ans. Quelque part je voudrais rendre ce qui m’a été donné. » Fournir des moyens matériels, bien sûr – comme le fait la Fondation Meyer à travers son programme de bourses – mais aussi fourbir les armes de la persévérance. Ce sens de l’effort qui est demandé à n’importe quel athlète de haut niveau, Bruno Mantovani l’exige de ses élèves. En revanche, le directeur du conservatoire est fort conscient que d’aucuns, doublement méritants car peu aidés au départ, loin de leur famille, ou originaires de pays au niveau de vie moins élevé que la France ou de région française défavorisée, auraient besoin d’un coup de pouce dans leurs études et leur carrière naissante. Une vision qu’il a partage avec Vincent Meyer et qu’il a pu, auprès de ce dernier, développer « en multipliant les projets et les aides sociales. » Ainsi déploie-t- il sa conception alliant exigence et solidarité. S’il garde le concert, il supprime les « avant-scènes » – le concours qui met en concurrence les élèves car Mantovani goûte peu l’esprit de compétition qui le sous-tend. L’émulation bien ordonnée commence par soi, il faut surtout se surpasser soi-même.…
Aide pour l’achat d’un instrument ou pour payer une master class, ou simplement pour pallier le coût de la vie à Paris… Les bourses permettent aux élèves qui en ont besoin d’étudier dans une forme de sérénité, mais comme nul n’est à l’abri de l’infortune, Bruno Mantovani instaure un « coussinet » une aide d’urgence, qu’on pourra allouer en cours d’année à celle ou celui qui ne s’était pas vu initialement attribuer de bourse mais dont le décès d’un proche ou un accident de parcours aura bouleversé la situation. Il poursuit la politique d’enregistrements des interprétations des élèves – quand Mantovani part de la direction il peut s’enorgueillir de 110 enregistrements, dont certains sont édités dans un cadre professionnel. Il étend la promotion du Conservatoire national supérieur de musique également à travers la publication d’ouvrages musicaux, qui deviennent le fond d’une maison d’édition. Pour les 20 ans de la Fondation Meyer, il organise un concert où jouent tous les boursiers : « À cette occasion une salle a été nommée en l’honneur de Vincent. » Élu en 2017 à l’Académie des Beaux-Arts, Bruno Mantovani a prouvé et prouve encore que « le sublime est accessible à tout le monde », du moment qu’on donne les moyens à chacun d’y accéder.
Sean Rose